Premier à tout prix
Ça ralentit tranquillement avant un presque arrêt complet à la hauteur de la 440. Je laisse sagement un espace entre la voiture devant et la mienne. Un VUS s’élance de la voie de droite et bondit dans cet espace. Il zigzague impatiemment, cherchant désespérément à gagner une place de plus dans la file. Les autres autour resserrent les rangs, comprenant le manège du chauffard. Sachant l’hurluberlu un brin imprévisible — les clignotants ne semblent pas être son fort — je le laisse prendre un peu d’avance afin de retrouver un peu d’espace.
J’y vois une fabuleuse allégorie sur le monde des affaires. Pour certains (une minorité je dirais), être le premier, voire le plus meilleur, est plus important que tout. Ainsi, ils sont prêts à tout afin d’être au sommet de la pyramide. À l’instar de ce conducteur, si c’était légal de littéralement piler sur les véhicules qui bloquent le passage, ils le feraient. Ils n’ont aussi aucun problème à faire et à dire n’importe quoi pour se rendre en haut de l’échelle, et ce, au détriment de tout ce qui les entoure (famille, amis, collèges, enfants, etc.). C’est extrêmement dommage pour eux, mais aussi les gens qui les côtoient.
J’eus à me questionner quelquefois sur mes propres ambitions. J’en suis venu à me demander ce qui comptait le plus pour moi. Je me suis alors projeté dans l’avenir en tentant d’imaginer ce que j’aimerais avoir accompli dans une vingtaine d’années. Ma conclusion? J’espère d’abord et avant tout avoir été la plus haute définition de moi-même, soit une personne sur qui l’on peut compter, quelqu’un d'honnête, juste, transparent et efficace. Je me dis qu’après la carrière, il ne restera pas que des dossiers, mais plutôt des relations. Ces relations professionnelles, au fil des ans, se transforment parfois en amitié. En bout de piste, il n’y aura plus de dossiers, mais des humains. C’est la façon dont j’aurai traité ces humains — mes amis — qui comptera lorsque les chiffres, les contrats, les commissions, et le lustre temporaires de l’or s’évanouiront.
Peut-être je ne serai jamais décoré comme étant le plus meilleur vendeur de toute la galaxie. Ceci étant dit, la tranquillité d’esprit que me procure ma façon d’interagir avec les autres, elle, n'a pas de prix. De plus, j'en récolte les bénéfices quotidiennement. J’esquisse alors un sourire en regardant mon excité de la route couper et entrecouper furieusement d’autres automobilistes. Une chanson que j’adore tourne à la radio. Je monte le son et fredonne le refrain en profitant du soleil de mars. Quant à lui, il disparait entre les voitures.
45 minutes plus tard, je croise à nouveau mon moineau à l’embranchement de la 40, coincé dans une double voie qui devient simple. Je laisse une espace sécurité entre moi et le véhicule en avant. Lorsque notre stressé se retourne pour me couper à nouveau, je lui fais signe de passer, tout sourire.
